dimanche 24 octobre 2010

Enquête : les Patrons Dans l'Horlogerie 2/2





DE JEAN-CLAUDE A BIVER

Genèse
Jean-Claude voit le jour dans le grand Duché du Luxembourg, dont il est toujours citoyen. A 10 ans, il vient s’installer avec ses parents en Suisse et va en pension à Saint Prex. Il poursuit ses études à Morges, puis à HEC Lausanne.

C’est à  l’occasion d’un stage Chez Audémars Piguet, qu’il va découvrir sa véritable passion, celle de l’Horlogerie. Georges Golay CEO d’AP, va l’initier à  tous les métiers de l’horlogerie (le Design, l’assemblage, le marketing, les achats) ainsi qu’à son terroir ; la vallée de Joux.

Fort de cette première expérience, et doué d’une impatience salutaire, il décide de racheter à Nicolas Hayek BlancPain pour une boucher de Pain en 1983.
Alors que le monde entier se met à l’heure du quartz il lance un concept simple pour relancer sa marque, qui n’est à l’époque qu’une coquille vide : «Since 1735 there has never been a quartz Blancpain watch. And there never will be». Audacieux pari.

Il mise tout sur le modèle emblématique de la marque, la célèbre montre de plongés Fifty Fathoms. On a ici une constante en terme de marketing produit chez Biver, celui de la montre sport comme produit emblématique. Le succès de la marque est fulgurant puisque Swatch group décide de racheter la marque à Biver pour 43 million de dollar, alors qu’il l’avait acquis quelques années plus tôt à 22 000 dollars.

Actionnaire minoritaire, Biver reste néanmoins aux commandes de la marque et est alors approché par le grand gourou du marketing au Swatch Group Fritz Amman.

Celui-ci lui propose de rentrer dans son équipe pour relancer la marque Oméga, qui peine à se positionner par rapport à son concurrent Rolex. Oméga est même dans les années 80 un motif de plaisanterie en Suisse.

Biver accepte cette nouvelle mission et propose des concepts originaux qui vont se révéler judicieux.

Il propose de faire d’Oméga une marque de Star, pour ce faire, il investit tout d’abord dans le placement de produit avec James Bond et prend donc la succession de Rolex dans la série culte. Fort de ce succès il signe des contrats d’ambassadeurs avec Cindy Crawford, Michael Schumarer et Pierce Brosnan. Après dix ans de présence au marketing d’oméga, les ventes ont triplés.

Les aventures BlancPain et Oméga ont épuisées Jean-Claude Biver qui décide de prendre une année sabbatique dont il ne reviendra jamais.



L’AVENTURE HUBLOT

Les fondamentaux du marketing Hublot

De retour sur la scène professionnelle, il rachète la petite marque Hublot à son créateur Carlo Crocco. fils d’horloger italien. D’après Biver, c’est à son créateur que l’on doit la stratégie mono-produit et le concept de la fusion. Le Caoutchouc, matériel pourtant bas-de-gamme, interpelle Crocco. Il décide d’en faire usage pour ses bracelets ainsi que de l’or pour ses boîtiers. De l’association de ses deux matières, naîtra le discours marketing Hublot : la Fusion.

De nombreuses marques comme Breguet, Audémars Piguet, Corum, Panerai, lance en même temps qu’Hublot des montres de luxe avec un bracelet en caoutchouc.

Cependant, il n’échappe pas à J-C Biver, que le caoutchouc pour ces marques n’est qu’une option de bracelet. Personne ne pense à faire de cette association de matière un fondamental d’une gamme de produit. Les marques propose ainsi leur garde-temps avec 2 bracelets, un en cuir, l’autre en caoutchouc.

Biver perçoit aussi qu’une nouvelle catégorie de millionnaires se constitue. Celle-ci, issus en grande partie des pays émergents, n’a pas le même type de consommation que ces paires américains ou européens en terme de produits de luxe. En effet, peu au fait de l’étiquette de la bourgeoisie traditionnelle, ils affichent sans complexe leur réussite et ne se plient pas au protocole des marques de luxe installées. Certains seront même mal à l’aise dans les univers établis et préféreront des ambiances plus populaire, plus sport, moins guindées.

Biver comprend vite que pour cette nouvelle cible, l’argument du savoir-faire traditionnel, du tourbillon, des terroirs horlogers, de la formation, n’est pas du tout adapté. De plus cette cible aime afficher sa richesse avec ostentation.

Pour BlancPain en pleine mode du quartz, il avait communiqué sur le fait que sa marque serait le chantre du mouvement automatique. Pour Hublot, il concocte pour sa cible un message simple : la Fusion et un seul design produit. Biver se concentre sur les fondamentaux de Crocco et balaye tous les autres argumentaires de vente.

Vous avez dit horlogerie ?
On ne peut cependant pas éluder le discours technique. Mais au lieu de parler à ses clients de Côtes de Genèves, d’ancres, de balanciers, d’anglage à la main, de microbillage, de masses oscillantes pour justifier le prix d’une machine horlogère, Biver simplifie le discours pour que celui-ci reste dans le même registre que la fusion des matériaux. Il parle d’âme, d’amour pour évoquer la part de technicité et de travail à la main propre à la haute horlogerie.


Le Design Hublot
Il consolide le design de sa montre en s’inspirant fortement de la Royal Oak d’Audémars Piguet. D’ailleur, quand son mentor Georges Golay , patron d’A.P. découvre le nouveau design d’Hublot Celui-ci «tombe de sa chaise».
La similitude entre les des montres est évidente : la boîte est composée d’une pièce unique intégrant les cornes et une lunette en métal est vissée sur le cadran.

Biver se défend de toute copie. Pourtant, en 2007, il fait appel à Gerald Genta, le concepteur historique de la Royal Oak pour décliner ses produits.

Notre patron de choc se met totalement au service de sa marque et s’intronise ambassadeur Hublot. Il synthétise ses positions marketing et son nouveau design dans un garde-temps : la BigBang. Ce concept simple et évident – or et caoutchouc –, décliné sur un boîtier imposant de 45mm correspondant tout à fait à la nouvelle cible identifié par Hublot.


La quête de Notoriété

Le Flux
Afin de développer la notoriété de la marque, Biver va faire feu de tout bois.
Il va très vite intégrer la notion de bruit médiatique et lance la Hublot TV. Afin de créer du contenu pour irriguer ce canal, il va multiplier les séries limités, les partenariats et les participations aux oeuvres de charité. Il apparait en tant qu’ambassadeur de la marque  au côté des peoples tels Jennifer Lopez, U2, Depeche Mode Garou, Maradona, etc...


Le Football
Mais son coup le plus gonflé, est d’avoir osé associer la haute horlogerie et le luxe au sport le plus populaire du monde : le Football.

Néanmoins, le Football selon Hublot est emprunt de religiosité et de sacré. Ces attributs sont conformes aux canons du marketing du luxe.
Il sera partenaire de la plus célèbre équipe d’Europe, le Manchester United. Pour officier, il convient d’avoir un maître de cérémonie, un demi-Dieu, qui fait l’objet d’un culte dans son propre pays : Diego Maradona. Il aurait pu choisir Pelé mais celui-ci est aujourd’hui un sage, un ascète pas du tout flamboyant. Le bouillonnant Maradona est une vraie star, un homme de l’excès comme peuvent l’être les nouveaux milliardaires des BRIC, la cible originelle de Hublot. Après avoir une religion, celle du Football, et son Dieu Maradona, il fallait à Hublot une grande messe : la coupe du monde 2010. Grand Succès pour la marque Genevoise : Hublot se fait connaître à quelques 700 millions de spectateurs ! De plus Maradona avec ses deux imposants gardes-temps (un à chaque poignet) fait un placement de produit impeccable à chaque geste filmé lors des match de l’équipe d’Argentine dans la dramaturgie de la compétition.



Hublot à la recherche d’une légitimité horlogère

Etre reconnue par une typologie de cible, c’est bien, mais pour Biver, cela ne suffit pas. Il faut aussi être reconnu par ses pairs. Biver va donc opérer en deux temps.
Il ne peut revendiquer ni une histoire, ni un terroir (Hublot-Genève à son usine à Nyon VD). Il ne peut pas non plus revendiquer une technicité, n’étant pas une marque d’Horloger à proprement parler comme Daniel Roth ou Greubel & Forsey.
Biver va donc dévier le discours et cela sera bougrement efficace.
Pour ne pas donner dans un registre trop complexe ou élitiste, au lieu de se revendiquer d’un terroir de production, il se positionne dans le folklore. Au lieu et place de l’austère manufacture pluri-centenaire jurassienne, il s’affiche bon teint en tenue traditionnelle fribourgeoise sur un chemin de montagne entouré de vaches et effectue chaque année son pèlerinage en légitimité Helvétique : la Désalpe. Il va aller plus loin en achetant une ferme qui produira un fromage qui sera servit en dégustation exclusive à tous les événements Hublot. Plus personne ne pourra faire un procès en Helvétitude à Hublot. Marque Bling Bling certe, mais Suisse jusqu’à la croûte de son fromage.



Cependant, il faut aussi donner une dimension technique à la marque. Biver aborde Alinghi et signe un contrat de partenariat exclusif. Hublot sera donc associé à la victoire de la technicité Suisse sur le monde de la voile traditionnelle, comble du comble pour un pays n’ayant aucune façade maritime. Hublot et Alinghi rentre dans la légende et leurs histoires se confondent.

La crise de 2008 va servir à Hublot, la pièce qui lui manquait pour asseoir définitivement sa légitimité horlogère : la faillite de BNB, le prestigieux fabricant de mouvements. Ce symbole de l’indépendance au Swatch Group,  ne peut plus faire face aux défections de ses clients et dépose le bilan. Biver va racheter l’entreprise une bouchée de pain, va licencier plus de la moitié des horloger et va se présenter comme le sauveur de l’industrie horlogère indépendante.

On peut s’interroger sur la crédibilité du nouveau chantre de l’industrie horlogère indépendante qui dans le même temps revend Hublot à LVMH et recommence la belle opération qu’il avait fait avec BlancPain. Il garde les rennes de la sociétés, et continue inlassablement à faire d’Hublot une marque sur laquelle il faudra désormais compter dans l’Olympe de la Haute Horlogerie Suisse.


CONCLUSION

Hublot a aussi investit dans d’autres domaine que le football comme par exemple le Polo, sport par excellence de l’Intelligentsia Financière mondiale. Hublot devient le partenaire du plus célèbre match de Polo Européen dans le très select Polo Club de Paris. Cependant,  stupeur. Sur le film de l’événement il y a un grand absent ; Jean-Claude Biver. Celui qui apparaît partout avec Maradona, Bono, Garou ou avec un fermier vaudois et ses vaches, est absent.

L’infatigable télé-évangéliste horloger, toujours prompte à convertir à Hublot tout amateur de Haute-Horlogerie aurait-il raté une occasion incroyable de s’adresser à la cible traditionnelle de consommation de produits de luxe ?

Peut-on  vibrer en communion avec la planète à l’occasion de la coupe du monde de foot et s’afficher comme maître de cérémonie au bal des puissants ?
Au vue du parcours de JC Biver, j’aurai sans hésiter répondu oui.  Car à l’heure de la fin des Blingblings, il conviendrai de s’adresser aux dynasties industrielles et d’être inscrit au plus vite au registre des fournisseurs officiels de la cours.

Biver n’a pas fait ce choix, et va donc suivre et accompagner ses «fidèles ex-blingbling» dans  la jungle de l’horlogerie d’après-crise. Après les années d’or et de diamants, Hublot les initiera à la maturité horlogère. Les nouvelles gammes Hublot se font plus discrètes, les diamètres des boîtiers passent de 45 à 42, voir 40 mm. L’époque de la «one million dollars» semble donc bel et bien révolue. De là à diffuser du contenu écrit sur son site, il n’y a qu’un pas que la marque n’a pas encore franchie. Le flux sans fin de la «Hublot TV» continue.

Le Biver de l’après-Crise se présente au média moins Blingbling, moins people, plus accessible, en empathie, très proche des gens, de la nature et de son terroir. Alors qu’il fête ses soixante ans, il parle de retour aux sources, de vrais valeurs, comme la famille l’amitié le vélo et le bon vin. Il reçoit parallèlement le prix Gaia 2010 en récompense pour sa carrière d’homme d’affaire.

Dans une interview récente il présente même à un journaliste sa collection de montres personnelles où Patek Philippe tient bonne place.

Encore une stratégie pour inscrire durablement Hublot dans les valeurs sûres de l’après crise, ou est-ce l’expression d’une authenticité qui peut désormais se vivre au grand jour ?

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